Nous pensons que l’effondrement sera rapide d’un point de vue civilisationnel mais relativement lent et progressif à l’échelle d’une vie humaine, soit une ou deux décennies. L’effondrement global de la civilisation thermo-industrielle sera1 constitué de déclins et d’effondrements locaux et partiels qui s’enchaînent2 au gré de la géopolitique. Localement, il y aura donc des effondrements brusques dans nos pays enrichis, provoqués par exemple par des ruptures d’approvisionnement d’eau ou de nourriture, des fermetures d’usines ou de maisons de retraite, des inondations ou autres événements météorologiques extrêmes. Pour ceux qui restent dans le déni de ces éventualités, les chocs physiques et psychologiques seront aussi importants que la préparation sera faible. Plus le nombre de personnes prises de court et susceptibles de paniquer sera important et plus la situation sera globalement difficile à gérer, bon courage les maires.
Parler d’effondrement et de conséquences concrètes peut donc être un bon investissement à long terme pour la collectivité, même si pour vous et à court terme, cela en sera peut-être un mauvais, puisque vous allez passer pour un parano-emmerdeur.
Sans vouloir convertir une part significative de la population à la préparation à l’effondrement, le simple fait d’en parler titille leurs certitudes et fait exister l’effondrement chez eux au moins à l’état de concept. Des questions annexes pourront alors s’y connecter et s’y développer, comme par exemple l’importance et la fragilité de l’approvisionnement en eau, la dépendance à la voiture, l’approvisionnement en chocolat, la solitude face au smartphone sans batterie…
Confronté aux effondrements locaux, il faudra savoir lâcher des faux besoins pour se concentrer sur les vrais. Par exemple accepter d’abandonner sa maison en zone sinistrée pour aller trouver refuge chez ce con de beau-frère qui jubile d’avoir enfin raison et qui ne se privera pas de nous écraser de sa clairvoyance et de sa magnanimité. Faire simplement connaître la notion d’effondrement permet de préparer inconsciemment des lâcher-prises.
Comment on fait ? Il faut donc parler d’effondrement sans passer pour un fou, sans se retrouver petit à petit isolé, sans devenir le pestiféré que tout le monde évite.
Il faut aussi doser la peur. Faire peur n’est pas un objectif mais un moyen, contesté. Faire peur n’est pas nécessairement démobilisateur3, ça dépend de la dose. Mobiliser n’est pas décrire la réalité, mais l’utiliser et doser les libertés que l’on prend avec elle, et bien sûr ces écarts à la réalité seront plus ou moins perçus par le public visé. Il n’y a donc pas de stratégie de mobilisation universelle, qui puisse mobiliser tout le monde, mais des stratégies (des discours) pour des publics plus ou moins réceptifs et tolérants à ces écarts à la réalité. Nous, nous tentons de coller le plus possible à la réalité, même si elle déplaît et fait peur, sans imaginer que c’est LA bonne méthode, mais une méthode qui a du sens. De toutes façons, il ne s’agit plus là de mobiliser, mais d’éveiller l’attention, de mettre en alerte, de faire sortir les antennes, et c’est la fonction première de la peur. Si le message porte, l’étape suivante n’est pas de rassurer, mais d’encourager à passer à l’action.
Comment parler d’effondrement ?
Premièrement ne le faites pas seul, créez un groupe ou rejoignez un groupe existant, pour échanger de l’information, se soutenir et élaborer collectivement des stratégies de communication adaptées au contexte local.
Ensuite appuyez-vous sur des données incontestables, il y en a suffisamment. Oubliez les chemtrails1 et autres polémiques qui seront autant de portes de sortie et de retour au déni pour vos interlocuteurs.
Pensez et affinez votre rapport à l’autre dans cette entreprise de communication. Soyez factuel et non moralisateur. Juger les autres ne sert à rien, d’autant plus que vous n’êtes pas en capacité de faire appliquer la moindre peine. Acceptez que les gens fassent ce qu’ils veulent et peuvent. Peut-être que l’avenir dira qu’ils ont fait plus que ce que vous n’imaginiez. Posez des questions, faites réfléchir et rêver plutôt que chercher à convaincre. Choisissez ce que vous dites et ce que vous ne dites pas, tout dire va vous libérer mais assommer votre interlocuteur, il faut en dire juste assez pour provoquer du changement.
Certains noient leurs angoisses ou le manque de sens dans l’alcool, les sports extrêmes ou le développement personnel. L’effondrement est aussi une réponse face à l’angoisse écologique de notre temps. C’est un imaginaire certes peu joyeux mais solide, sur lequel on peut s’appuyer. Faites des propositions qui soient des alternatives à la déprime ou à la tentation de se réfugier dans le religieux et les idéologies.
Montrez l’exemple, par votre attitude sereine face à la notion d’effondrement (si ça vous fait déprimer, occupez-vous d’abord de vous) et par vos actions, en présentant leurs aspects ludiques, intéressants, accessibles, mais néanmoins à la hauteur des enjeux. Votre système d’autonomie en eau intéressera les plombiers, votre installation photovoltaïque intéressera les technophiles, votre gouvernance partagée intéressera les colibris…
Publiez sur internet si vous êtes doué pour la communication numérique.
Passez la vitesse supérieure et organisez des soirées publiques (ciné-débats, conférences). Devenez vous-même conférencier si vous réussissez à atteindre une maîtrise du sujet et une légitimité suffisante.
Enfin interpellez les élus. L’échelon municipal, dans les petites communes, est un niveau accessible. Ce point sera développé dans le chapitre suivant.
Et éventuellement écrivez un livre, ça permet de pousser sa réflexion jusqu’au bout, de mettre au clair ses idées, de les organiser, de vérifier leur cohérence, de les soumettre à la critique5.
1 – Au futur, car ce n’est qu’a posteriori que pourra être constaté l’effondrement et que ces étapes pourront être identifiées.
2 – Au présent, car on peut considérer que les 1ers effondrements locaux ont déjà eu lieu.
3 – Voir notre synthèse d’étude à la suite du voyage à vélo du printemps 2018 sur http://eff.greli.net
4 – Les chemtrails seraient des traînées particulières d’avions dans le ciel, laissées lors d’épandages de produits chimiques visant à modifier l’atmosphère et contrer le changement climatique (ou nous intoxiquer aux métaux lourds, ça dépend des versions). Vu les coûts que cela impliquerait, qui ferait ça ? Dans notre monde de capitalisme débridé, il n’est pas étonnant d’entendre des propositions de correction du climat cherchant des financements internationaux. Par contre, que ces propositions soient mise en œuvre, donc financées de manière occulte semble très improbable. Les fondements scientifiques sont encore plus douteux.
5 – Allons-nous nous en prendre plein la gueule ?