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Avec des armes à feu ou pas ?

Les survivalistes en vêtements militaires, prêts à défendre leur stock de rations de survie, peuvent sembler représenter une part importante voire la majorité des gens qui pensent l’effondrement et s’y préparent. Sans avoir de chiffres, nous avons l’intuition qu’ils ne sont pas si nombreux que ça, mais qu’ils sont surreprésentés dans les médias qui cherchent presque toujours le sensationnel, le croustillant, le « qui fait peur » ou « qui prête à moqueries faciles ». A côté, passent plus inaperçues les initiatives plus collectives et bienveillantes1.

La question de la défense de ce que l’on est en train de construire se pose d’autant plus que l’on imagine un effondrement très rapide, qui déstabilise tout et tout le monde en même temps, alimenté par des faits divers non représentatifs de la réalité (le forcené qui tue X personnes dans une commune qui ne sera plus jamais connue que pour ça) et par les productions artistiques d’anticipation déjà évoquées (voir page 109). Même si nous n’imaginons pas notre effondrement local de cette manière, la question ne doit pas être évacuée, et elle est délicate.

A la Ferme Légère, repère de gauchistes pacifistes et non-violents, nous avons plusieurs fois reçu des remarques telles que : « Votre autonomie ne fera pas long feu quand des affamés arriveront de la ville ! » ; « Vous vous ferez piller vos légumes ! » ; « Bisounours ! »2. La question des armes a été jusque-là éludée : on n’en veut pas, peu importe si c’est nécessaire ou pas… mais peut-être qu’on changera d’avis à un moment donné. Notre sédentarité et notre préférence pour l’entraide, la pérennité et la bienveillance impliquent une vulnérabilité acceptée.

La simple possession d’armes crée de la violence. Le fait de voir des reportages sur des survivalistes armés crée de la peur qui entraîne d’autres personnes à s’armer aussi. La possession d’armes nécessite aussi des compétences (choix, utilisation, entretien, stockage) et des ressources financières. La possession d’armes peut poser des problèmes dans un collectif où tous les membres ne sont pas d’accord sur leur présence. Qui y a accès ? Dans quelles circonstances ? Qui va décider si on sort le flingue ou pas à un moment où l’on n’a pas le temps de prendre une décision de groupe ?

D’un autre côté, une arme à feu peut être un moyen de réguler la violence, d’imposer le partage et même d’accueillir dans des conditions choisies par l’accueillant (le sédentaire armé donc) et non par l’accueilli (le nomade éventuellement armé) : « Tu peux venir chez moi à telles et telles conditions, si t’es pas d’accord j’ai les moyens de te faire partir ». Et bien sûr ça permet de chasser, ce qui peut être utile dans certaines circonstances.

A partir du moment où des armes à feu existent, nous sommes tous aspirés dans une spirale infernale et confrontés à un dilemme stupide entre : faire l’hypothèse que l’arrivée de personnes malveillantes ne se produira pas (ou qu’on les régulera par la CNV) ; ou participer à l’augmentation de la violence latente par la possession d’armes. La première hypothèse, la non-survenue du pire, est souvent plus fréquente qu’on ne se l’imagine. Pour finir, un choix qui serait probablement mauvais dans tous les cas peut aussi être repoussé dans l’attente d’un changement de contexte. Alors, pour le moment à la Ferme Légère, la possession d’armes à feu ne nous semble pas une nécessité, mais simplement une question à se poser.

Qui a des armes en France ? Par ordre supposé de puissance de feu : les militaires, les autres fonctionnaires armés (police, gendarmerie), les chasseurs, certains délinquants et les pratiquants de tir-loisir. Pour les plus armés, militaires, police et gendarmerie, l’idée de leur tenir tête par la force ne nous effleure même pas. Les chasseurs sont nos voisins et nous voulons coopérer avec eux, comme nous le verrons dans un des chapitres suivants. Restent les délinquants armés et ceux qui pourraient le devenir, pour le moment on n’en voit pas dans nos campagnes, alors attendons avant de s’équiper.

Dernière remarque au sujet des USA, pays où une part très importante de la population est armée. Les violences armées y sont plus nombreuses et on peut se demander ce qui s’y passera en cas d’effondrement en même temps des conditions matérielles de vie (manque d’eau, de nourriture) et des forces de maintien de l’ordre. Il y a bien plus de chance que ça dégénère en tueries que chez nous. D’un autre côté, une population armée est bien plus résistante à une dictature3.

Sur ces considérations embêtantes, passons à nos propositions non armées.

1 – Bien que, depuis notre tour à vélo, nous accueillons régulièrement à la ferme des journalistes, qui semblent ne trouver que nous comme lieu collectif où on pense l’effondrement (en tout cas où l’on accepte d’en parler).

2 – Via des réseaux sociaux, dans la vraie vie les gens sont plus modérés.

3 – Emmanuel Todd, podcast Thinkerview du 07/11/2018.